Une série de podcasts réalisée dans la continuité du spectacle de Caroline Bernard, "Don't Make A (Psycho)Drama, We're Still In A Game". La metteuse en scène donne la parole à une dizaine de personnes liées aux alternatives à la psychiatrie.

Frédéric est pair-aidant à Marseille, c’est-à-dire qu’il accompagne les patients en tant que patient lui- même. Un jour, il a commencé à entendre de voix, c’est devenu très bavard dans sa tête. Aujourd’hui, il sait que son équilibre passe par la spiritualité et la foi en un monde plus grand que la psychiatrie.

En presque 20 ans, Natasha a fait des dizaines d’allers-retours en hôpital psychiatrique. Elle reste bagarreuse pour ne pas subir la psychiatrie et rester au cœur de son propre système de soins. Elle a fondé une communauté d’usagers de la psychiatrie, à qui elle propose chaque semaine des RDV cinéma, théâtre, des moments conviviaux pour que la vie ensemble l’emporte sur la condamnation du diagnostic.

Pour compléter, un peu d’Histoire… par Camille Jaccard

L’introduction de la pair-aidance en psychiatrie bouscule les fondements traditionnels de l’expertise dans le champ de la santé mentale. Longtemps, le savoir médical – fondé sur la science, le diagnostic et les traitements validés – était considéré comme la seule référence légitime pour comprendre et prendre en charge la souffrance psychique. Le statut de patient était alors plutôt envisagé comme récepteur passif de soins que comme acteur à part entière.

Cette hiérarchisation est le résultat d’un processus historique : comme l’a notamment montré l’historienne Jan Goldstein, la psychiatrie s’est construite au XIXᵉ siècle en France en cherchant à se constituer en profession autonome et à imposer sa légitimité. Pour y parvenir, les médecins aliénistes ont non seulement revendiqué une expertise scientifique sur la folie, mais ils ont aussi marginalisé d’autres formes de compréhension qui existaient auparavant : les interprétations religieuses de la possession, les lectures philosophiques de l’âme, les savoirs populaires des familles ou des communautés locales. Ce processus de professionnalisation a contribué à imposer l’idée que seul le savoir médical pouvait être entendu comme vérité sur la folie, reléguant au second plan les voix des personnes concernées et de leurs proches.

Or, la reconnaissance contemporaine du savoir expérientiel, c’est-à-dire des connaissances issues de la souffrance psychique et du rétablissement, vient redéfinir cette hiérarchie héritée. La pair-aidance en psychiatrie désigne le soutien offert par des personnes ayant cette expérience vécue à d’autres traversant des difficultés similaires sur le plan de la santé mentale. Son émergence s’inscrit dans une histoire plus large de transformation des regards portés sur la folie, les droits des personnes concernées et du soin. Ses racines remontent aux mouvements d’entraide communautaire et aux groupes de soutien mutuel qui se développent dès les années 1960-1970, notamment aux États-Unis et au Canada. Inspirés par les luttes pour les droits civiques et l’autonomie des personnes handicapées, des collectifs de patient.e.s psychiatriques se mobilisent pour contester la stigmatisation, les traitements forcés et l’exclusion sociale. Ces initiatives donnent naissance à ce qu’on appelle le mouvement des usager.e.s. Dans ce contexte, la pair-aidance apparaît comme une alternative aux approches strictement médicales. Plus largement, ce mouvement interroge la définition de l’expertise en psychiatrie : s’agit-il uniquement d’un savoir objectivable, validé par des protocoles, ou bien est-ce aussi un savoir situé, construit dans l’expérience singulière et le partage collectif ? Dans l'institution psychiatrique, espace fortement hiérarchisé où médecins, psychologues infirmier.ère.s et autres professionnel.le.s du soin, ne jouissent pas de la même reconnaissance, quelle place occupent les pairs-aidant.e.s ? Enfin, ces deux formes d’expertise fonctionnent-elle comme une complémentarité féconde, ou bien s’inscrivent-elle dans des logiques profondément différentes ?

Pour aller plus loin :

Franck, N., Cellard, C., Suter, C., Favrod, J., & Linder, A. (2020). Pair-aidance en santé mentale : une entraide professionnalisée. Elsevier Masson.

Goldstein, J. E. (1997). Consoler et classifier : l’essor de la psychiatrie française. Synthélabo.

générique

Cet épisode a été enregistré dans les studios de Radio Grenouille à Marseille et de Fréquence Banane à Lausanne.

Un podcast réalisé par Delphine Wuest et Rachel Maisonneuve, sur une proposition de Caroline Bernard et Camille Jaccard.
Création sonore: Toco Vervish
Une production de La Grange / Centre Arts et Sciences / UNIL et l’Atelier des histoires de l’université de Lausanne, en collaboration avec Radio Bascule.

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L'épisode 5, Frédéric et Natasha, a été diffusé à la Grange dans le cadre du festival Symptomania du 1 au 3 octobre 2025.
Crédits photo: Caroline Bernard
Publié en octobre 2025

Un contenu à retrouver également sur l'application PlayPodcast

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