Pour "Symptomania", la metteuse en scène Caroline Bernard donne la parole à une dizaine de personnes liées aux alternatives à la psychiatrie: patient·es, soignant·es, pair·es-aidant·es.

Caroline Bernard raconte: Je suis ce qu’on appelle une proche-aidante, proche aimante. Lorsque tu soutiens une personne qui souffre de troubles psychiques, tu ne sais pas du tout si tu l’aides, tu sais simplement que tu l’aimes. Dans le cadre de la préparation de mon spectacle Don't Make A (Psycho)Drama, We're Still In A Game - jusqu'où t'accompagner?, on vous propose une série de podcasts: Symptomania.

J’ai rencontré une dizaine de personnes toutes liées aux alternatives à la psychiatrie: une avocate, des psychiatres, des patient·e·s et des soignant·e·s, des pair·e·s-aidant·e·s. Entre constat, rage et perspectives, j’ai voulu croiser leurs regards et partager avec vous leurs paroles. Bienvenue dans Symptomania, le XXIe siècle sera spirituel ou ne sera pas, Pauline et Belkacem.

Ce premier épisode a été enregistré dans les studios de Radio Grenouille à Marseille et de Fréquence Banane à Lausanne.
Un podcast réalisé par Delphine Wuest et Rachel Maisonneuve, sur une proposition de Caroline Bernard et Camille Jaccard.
Création sonore: Fernando de Miguel
Une production de La Grange / Centre Arts et Sciences / UNIL.

Un peu d’Histoire… par Camille Jaccard
Lorsque des médecins ont commencé à s’intéresser à la folie au début du XIXe siècle, ils l’ont redéfinie comme une maladie mentale. Or, pour soigner les facultés intellectuelles et les affections de l’âme, ces spécialistes, qu’on appelait des aliénistes, ont cherché des alternatives aux purges et aux saignées auxquelles on soumettait les aliénés. 

La psychiatrie du XIXe siècle a ainsi élaboré un "traitement moral" en opposition aux traitements physiques qui s’appliquaient aux corps. Le traitement moral était largement basé sur l’échange verbal avec les malades mentaux. Cette médecine considérée alors comme "spéciale" cherchait à atteindre par la parole cette part de raison qui - pensait-on - demeurait chez les fous. On peut se demander si la psychiatrie, en voulant se distinguer de la médecine somatique, n’a pas en quelque sorte évacué cette expérience corporelle.

Avec les progrès de la neurologie durant la seconde moitié du XIXe siècle, la folie a parfois été redéfinie comme une maladie du cerveau. Un organe certes relié à un système nerveux, mais en réalité, le corps vécu, le corps vivant des patients, n’était pas le centre de l’attention. Il ne s’agissait plus de soigner, mais de procéder à une dissection post-mortem pour identifier le lieu de la lésion qu’on tenait pour responsable de la maladie mentale. 

Et puis les cris, les hurlements que les aliénistes observaient chez leurs patients ont été perçus comme des entraves au nouveau traitement moral. Ces débordements, ces excès, ces sons provenant des entrailles, empêchaient l’échange verbal avec les patients et donc la guérison. Alors les médecins les ont notés, définis, classés, car ils permettraient peut-être de mieux comprendre la nature de la folie. 

Un article d’un dictionnaire médical du début du XIXe siècle explique: c’est au moyen des organes vocaux que le malade fait connaître son délire, et, suivant qu’il est taciturne ou furieux, il prononce les mots à voix basse, lentement, par intervalles, ou il fait éclater les cris les plus violents, les expressions les plus énergiques. Dans l’hypocondrie, dans la manie et dans les nombreuses variétés que présentent les aliénations mentales, la parole sert toujours à l’expression des idées plus ou moins bizarres de l’individu; elle fournit les signes les plus précieux et les plus positifs sur la nature du mal. Dictionnaire des sciences médicales, 1819.

Mais voilà, en devenant un symptôme, la parole est vidée de son contenu. Et pour les aliénistes, elle n’est plus rien d’autre que le reflet de la maladie mentale. Comment dès lors écouter un patient qui demanderait, en criant peut-être, qu’on le laisse sortir de l’asile ou, en des termes plus contemporains, de l’hôpital psychiatrique? Quelle valeur peut encore avoir sa parole, l’expression de son expérience, de sa voix au sens juridique et citoyen du terme, si elle ne dit que la maladie? Et puis, n’y a-t-il pas une valeur thérapeutique au cri, à l’expression?

Où en sommes-nous aujourd’hui? Quelle place occupe le corps vécu et vivant des patients en psychiatrie? Et leur voix, comment est-elle entendue dans le système médico-légal contemporain?

Autour du podcast
Le jeudi 27 mars 2025 a eu lieu En choeur, une rencontre à trois voix avec les santés mentales à Genève. Les récits de Pauline, avocate en pause professionnelle mais également l'une des protagonistes de ce premier épisode de Symptomania, Natasa, paire-aidante, et Myriam, soignée par LSD, s’inscrivent dans la démarche artistique de la metteuse en scène.

Le samedi 29 mars à 14h s'est tenue Capter la parole en contexte psychiatrique, une rencontre entre Caroline Bernard et Camille Jaccard, chercheuse à l’UNIL, à La Grange / Centre Arts et Sciences / UNIL. Quels sont les angles morts de la psychiatrie clinique? Comment capter les récits que celle-ci peine à recueillir?

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L'épisode 1 Pauline et Belkacem a été diffusé le dimanche 23 mars à 19h sur Radio Vostok
Crédits photo: Gérald Wang
Publié en mars 2025

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