Midi Bascule

S3E19 Chronique de Candice - Jeannine et Georgette contre le Ministère des Ressources Naturelles

L’improbable histoire de la révolte de Jeannine et Georgette contre les boys clubs de la manipulation des nuages au Québec en 1965. Méconnue, cette revendication politique menée par des femmes mérite sa place dans les livres d'histoire.

Les dames d’Alma. Tout de suite, ça me parle, parce qu’il y a le mot dame. Bon ok, je n'irai pas jusqu’à dire que je me reconnais dans cette dénomination des femmes de haute naissance, des ménagères de plus de 50 ans ou des pions sur un damier. Même si clairement, je me sens plus proche de la dernière option. Les dames donc, ça m’intéresse, parce que ça parle de femmes.

Alma par contre, ça me parle moins. Petite bourgade québécoise de 20'000 habitants à l’époque, dans la région de Saguenay-Lac-Saint-Jean, à 230 kilomètres au nord de Québec. On est en 1965. C’est la guerre du Vietnam, Malcom X a été assassiné et Christophe chante Aline. Et à ce moment-là au Québec, ça fait déjà quelques temps que l'on ensemence les nuages pour créer de l’eau et de l’électricité. Ça se fait un peu en soum soum entre le gouvernement et une entreprise la Weather Engineering Corporation. À l’époque, il n'y a pas Médiapart, donc les mecs sont tranquilles, ils peuvent décider comme ils veulent de faire la pluie et le beau temps. Littéralement.

Tout se passe bien pour ce boys club de la déréglementation climatique, jusqu’au jour ou un autre boys club se manifeste: les agriculteurs. Pas contents, car trop de pluie sur leurs exploitations égal moins de rendement. Manifestations, demandes de dédommagement financier à hauteur de millions. Et là, magie de la diplomatie masculine, on trouve un accord. Le gouvernement autorise trois mois de soleil par an. Attends. Elle est tellement dingue cette phrase que je vais la refaire. Le gouvernement autorise trois mois de soleil par an. Mais dans quel monde on vit?

Là où ça commence à devenir intéressant, c’est qu’il y a un journaliste qui publie un calendrier avec les jours de soleil et les jours de pluie. Histoire de savoir si on doit sortir le K-Way ou les lunettes de soleil. Pratique. C’est là qu’on arrive à Alma. Jeannine Simard, almatoise de 33 ans, découvre le calendrier et pète un cable. Elle va voir sa voisine, Georgette Geogrief. Ensemble, elles décident d’agir et lancent une pétition. C’est le carton plein, 60'453 signatures de femmes en deux heures.

Parce que oui, cette révolte-là, elle va se faire sans les hommes. Parce que ce sont eux qui jouent à foutre le bordel dans le ciel pour savoir qui a la plus grosse. Elles lancent l’opération parapluie et elles sortent manifester dans les rues, parapluie ouvert, pour que l'on arrête de faire joujou avec la pluie et que l'on respecte un peu plus mère nature s’il vous plaît.

Jeannine et Georgette sont en train de devenir des stars. On les appelle les Dames d’Alma.  Elles partent à Montréal, au Ministère des ressources naturelles. Il y avait pourtant un indice dans le nom du ministère. C’est ressources naturelles pas ressources naturelles manipulées par les hommes. Mais bon, apparemment, il n'y a même pas de respect pour le nom de leur propre ministère.  

Et là, gros paternalisme du Ministre: naaaaaaan mais les filles vous êtes sympas avec vos parapluies, mais vous savez pas de quoi vous parlez, c’est une affaire d’hommes, de politiciens, de scientifiques. Il refuse de transmettre les données sur l’ensemencement des nuages. Du coup, elles se cachent dans les toilettes du Ministère et ressortent la nuit pour trouver les documents. Elles balancent tout à la presse.

Gros scandale. La pluie artificielle devient l’ennemi public numéro 1. La cause de tous les maux. Baisse du tourisme, fermeture des piscines, chute des ventes de casquettes. Mais surtout, l’impact de l’iodure d’argent sur la santé des enfants et de la population. En plus de les empêcher d’aller faire des longueurs dans un bassin, on les empoisonne!

Tout le monde s’en mêle, ça ne devient plus qu’une bataille de femmes. Se crée un mouvement anonyme qui appelé les Fils du Soleil, carrément. Les mecs, ils n'ont pas peur des mots. Ils se veulent francs-tireurs des machines à pluie. Ce sont un peu les terroristes des faux nuages. Ils envoient des menaces de mort aux opérateurs des vaporisateurs d’iodure d’argent, ils disent attention il va y avoir du sang, des explosions, du feu. On est clairement dans un mauvais film. Ils sabotent deux machines. En fait, c’étaient des instruments météos du ministère. Bravo les mecs. Tout ça pour ça.

Résultat des courses, le Ministre cède et annonce l’arrêt de l’ensemencement des nuages. Seulement six semaines de révolte et Jeannine, Georgette et les autres arrivent à leurs fins. Par contre, la loi met cinq ans à arriver. Ils auraient dû engager les Dames d’Alma au Ministère des ressources naturelles, ça aurait été plus rapide.

Morale de l’histoire, laissez faire les femmes, c’est plus efficace, il y a moins de morts et la planète vivra un peu plus longtemps.

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Émission diffusée sur Radio Vostok en direct du Service de la culture de Meyrin, le 16 février 2024
Publiée le 21 février 2024

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