Midi Bascule

S3E16 Intégrale - Pour en finir avec la résilience?

Aujourd’hui, la résilience est une notion à la mode, on ne cesse d’en entendre parler, parfois dans des domaines où son utilisation ne semble pas aller de soi.

Un terme à la mode

Il faut souligner d’emblée que le concept de résilience n’est pas né avec Boris Cyrulnik, qui en est un propagateur de talent mais n’en est pas l’inventeur. C'est l’un des concepts les plus répandus, les plus bankables de notre temps, et nous allons tâcher de comprendre ce qui se cache derrière l’utilisation tous azimuts de la résilience, véritable couteau suisse dans le monde des idées.

La résilience est partout

Cela étant dit, venons-en au sujet qui nous occupe. Il n'y a pas à dire, la résilience, on en mange matin, midi et soir. À croire que les médias généralistes comme les experts les plus pointus n’ont que ce mot à la bouche. C’est bien gentil, mais pour dire quoi au fond? Et que camoufle l’utilisation immodérée de ce terme, qu’est-ce que cela dit de notre temps, de ses enjeux, de ses dérives, de son impuissance peut-être?

L'évolution sémantique du mot

Employé dès le Moyen Age, où il signifiait résiliation, soit le fait de se départir d’un contrat, le mot de résilience a d’abord concerné, à l’époque classique, la science des matériaux, l’acoustique. Il pouvait désigner la faculté d’une surface à faire rebondir le son ou la capacité d’un matériau à absorber un choc et à reprendre sa forme initiale. C’est grosso modo depuis le milieu du XXe siècle qu’il a commencé à être employé dans les sciences sociales et en psychologie, avec le sens et le succès qu’on lui connaît aujourd’hui.

La résilience aujourd'hui

Or, depuis une trentaine d’années, l’extension du domaine de la résilience semble pratiquement infinie. Au-delà des facilités métaphoriques, que veut-on dire quand on parle désormais d’une architecture, d’un individu dépressif ou en burn-out, d’un écosystème, d’une ville, d’une économie résiliente? Que veut-on dire et que met-on subrepticement sous le tapis? Est-ce que l’injonction universelle à la résilience ne masquerait pas parfois une sorte d’acceptation passive de certains dysfonctionnements? Pour le résumer d’une formule un peu bravache: n’est-il pas temps d’en finir avec la résilience accommodée à toutes les sauces?

Faire face aux traumatismes

Philippe Rohr exerce une fonction qui réclame une certaine finesse psychologique doublée d’une dimension spirituelle évidente, puisqu’il est diacre au sein de l’Eglise Protestante de Genève. À la suite de chamboulements personnels, il trouve à la lecture des Évangiles une foi qui le redynamise. Il côtoie aujourd'hui des populations éprouvées, requérants déroutés, personnes incarcérées et résidents d'EMS. L’anthropologue Patrick Naef s'intéresse à la gestion de la violence, à la manière dont les résidents de quartiers marginalisés font face à la gouvernance criminelle. Si la résilience se remarque chez les victimes de catastrophes naturelles, elle est moins évidente lorsque le danger provient de la violence humaine, comme c'est le cas dans des régions dominées par les gangs.

N'est pas résilient qui veut

Le comédien, auteur et metteur en scène Joël Maillard a signé en 2022 un spectacle intitulé Résilience mon cul, qu'il jouera le 8 mai 2025 à Vernier. Il se questionne sur le concept, qu'il ne considère pas comme le propre de toute personne qui a mal:

Comme beaucoup de facultés humaines, elle est inégalement répartie dans la population.

Candice Savoyat s'accorde avec cela. Elle ne croit pas vraiment en la résilience, du moins pas pour tout le monde.

Il y a lieu de s’interroger quand une notion comme celle de résilience se répand un peu partout par capillarité, quand elle devient un gimmick, une sorte d’idée réflexe que l’on dégaine machinalement. Faire flèche de tout bois avec la résilience, c’est peut-être le signe que le concept d’origine est lesté d’une puissance explicative fabuleuse – et c’est sans doute le cas dans le registre de la psychologie.

Mais c’est aussi peut-être le révélateur d’une certaine impuissance contemporaine, une manière de dire: le climat débloque, la planète entière est polluée, la consommation détruit notre monde, le travail redevient un calvaire pour des millions de travailleurs, alors surtout ne changeons rien et contentons-nous de soigner nos petites âmes blessées à coups de thérapies, de stages de yoga et de méditation en pleine conscience.

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Émission diffusée sur Radio Vostok en direct du Service de la culture de Meyrin, le 26 janvier 2024
Publiée le 26 janvier 2024

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