Midi Bascule

S3E08 Chronique de José - Au bal des borgnes

Il est si facile de se voiler la face, faire l'autruche et s'accrocher à nos œillères. Pourtant, un anniversaire peut être l'occasion de faire remonter de douloureux souvenirs pour voir l'actualité avec plus de clarté et d’honnêteté.

Salut à toi qui m’écoute, qui que tu sois, où que tu sois. Tu t’en doutes, la période n’est pas très joyeuse, malgré l’approche des fêtes de Noël et les efforts annuels de Mariah Carey pour détendre l’ambiance en cette saison. En ce moment, ça ne le fait pas. Mariah Carey, personnellement, ça a de toute façon toujours plus contribué à aggraver mon état nerveux qu’à me consoler de l’état du monde et me faire rentrer dans les tympans l’esprit de Noël.

Le monde est tellement sinistre, je ne sais même pas ce que je fais là, à prendre inconsidérément des risques qui peuvent me conduire, en une phrase, à la ruine réputationnelle. Tout ça pour une bête chronique... Bon, je préviens, j’ai pris des cibles faciles, c’est très tendance cette année et c’est moins risqué. En ce moment, le truc le plus gai que j’ai trouvé dans l’actualité c’est l’anniversaire d’Alain Delon qui fêtait ce mercredi ses 88 ans, c’est dire…

Alain Delon, dont Jean-Marie Lepen disait en 2010 qu’il était le seul acteur à pouvoir physiquement et mentalement l’incarner au cinéma. Mentalement, je dis pas, un acteur ça doit pouvoir tout incarner, mais physiquement… Il y a quand même de la marge entre un bouffi éructant au teint de vinasse et le plus bel homme du cinéma français, toutes époques confondues. Bon, Jean-Marie Lepen étant une personne en situation de handicap au niveau de son champ visuel... Vous ne le savez peut-être pas, mais il manque un œil à Jean-Marie Lepen. Oui, ce malheureux l’a tragiquement perdu en 65, en montant bêtement un chapiteau pour la campagne de Jean-Louis Tixier-Vignancour, premier candidat d’extrême-droite à la présidentielle française. La poisse : décollement fatal de la rétine en tapant, comme une brute, sur une sardine avec un maillet. Comme quoi, monter un chapiteau, ça peut être plus dangereux que de brancher la gégène sur un algérien pendant la guerre.

Alors, bon, après ça, on ne peut pas trop le chamailler, Jean-Marie, sur la véracité de sa libre appréciation de sa ressemblance physique avec Alain Delon. Vous me direz, Hitler se prenait pour un aryen, on peut bien laisser à Jean-Marie Lepen le droit de se prendre pour Alain Delon. C’est pas plus invraisemblable que si le RN et Reconquête s’invitaient à une marche républicaine contre l’antisémitisme.

Jean-Marie Lepen, il ne faut pas lui en vouloir, on a été trop dur avec lui, quand il a dit en 87 que les chambres à gaz c’est un point de détail de l’histoire. C’était pas parce qu’il était d’extrême-droite et antisémite, pas du tout ! C’était parce qu’il n'arrivait pas à bien les voir, à cause de son œil borgne. N’est pas le capitaine Albator qui veut, un peu d’indulgence ! On se représente mal ce que c’est que de vivre en état de déficience visuelle monoculaire, une affection qui frappe beaucoup de monde aujourd’hui.

C’est comme ne pas arriver à qualifier les actes abjects perpétrés le 7 octobre par le Hamas de terrorisme ou considérer que 4'500 enfants morts sous les bombes après quatre semaines de bombardements, c’est de la légitime défense. C’est comme penser que les règles essentielles du droit humanitaire qui fixent des limites à la barbarie de la guerre ne s’appliquent qu’aux organisations terroristes, aux pays arabes, à la Russie, à la Chine, à l’Asie et à l’Afrique, jamais à l’Occident ni aux démocraties.

L’état de déficience visuelle monoculaire, c’est contribuer sciemment à créditer un parti aux racines profondément antisémites comme rempart républicain contre l’antisémitisme juste parce que ça arrange et que ça coule la gauche. C’est être infoutu de voir que le gauchisme dans ses composantes dites radicales préfère se suicider en live, à coups de tweets pourris, de bastons sur les campus, de spéculations perchées à des hauteurs stratosphériques dans le cocon feutré de l’entre-soi que lutter et composer pour se rendre audible et puissant.

C’est aussi cette phrase abominable de l’éditorialiste Céline Pina sur CNews à propos des enfants morts dans les bombardements intensifs de Gaza par l’armée israélienne : Une bombe qui explose tuera sans doute des enfants, mais ces enfants ne mourront pas en ayant l’impression qu’en face d’eux, l’humanité a trahi tout ce qu’ils étaient en droit d’attendre. Oui, t’as raison Pina, on inscrira ça sur un futur mémorial palestinien : Morts sans avoir eu l’impression que l’humanité a trahi tout ce qu’ils étaient en droit d’attendre. Finalement, nous sommes un peu comme Jean-Marie Lepen, nous sommes toutes et tous devenus borgnes, nous ne voyons qu’un camp et pas l’autre.

Nous ne voyons pas la mort. Elle est devenue, elle aussi, un détail de la guerre.

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Émission diffusée sur Radio Vostok en direct du Service de la culture de Meyrin, le 10 novembre 2023
Publiée le 13 novembre 2023
Crédits photo: Anne Bouchard

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