Midi Bascule

S2E31 Chronique de José - Le forcené de la République

Quand la réalité dépasse la satire, la satire devient obsolète. Retour sur une commémoration sans peuple. José Lillo nous livre cette semaine une chronique médusée.

Alors, je préfère prévenir d’entrée, cette chronique pourrait s’appeller Le dépit du chroniqueur. Parce que je sais pas si vous avez vu mais l’actu, cette semaine, s’est surpassée. On la sentait déjà en forme la semaine dernière mais là, franchement, c’est plus de l’info, c’est de la satire… Et de l’info à la fois! On n’arrive plus à distinguer. J’ai personnellement mon cerveau qui arrive pas à suivre. Je sais pas vous, mais, moi ça me fait un désalignement neuronal. C’est comme des chakras désalignés, tu vois, mais dans le cerveau. Je sais plus si je regarde de la fiction dystopique what-the-fuckée ou du réel vrai. D’ailleurs, quelqu’un a le cerveau qui arrive encore à suivre dans le studio? Que cette personne se dénonce et qu’elle nous donne son truc, là, ça urge. Même si le truc ça peut être que: Si tu veux vraiment prendre soin de ton cerveau, ne suis pas du tout l’actu.

Ah ouais… habile. Moi je suis beaucoup moins rusé. Je peux pas m’empêcher de guigner, histoire de savoir dans quel monde je vis. Oui, oui, je me complique la vie, je sais. Tant pis, c’est comme ça, on a toutes et tous nos morbidités, moi c’est guigner l’actu.

L’actu en ce moment, comment te dire, c’est comme de mater un film qui a des erreurs de script, mais monumentales, à chaque plan. A côté de ça, les traces de pneu dans Ben-Hur, dans l’arène avant la course de char, mais pourquoi pas… Les Égyptiens avaient bien l’électricité, pourquoi les Romains auraient pas inventé le pneu en caoutchouc… Why not? Je suis ouvert à tout, j’ai plus de préjugés. 

On est en 2023, je sais ce que l’époque attend de nous, mais là, il s’est quand même passé un truc qui dépasse tout. Lundi, c’est la commémoration de la capitulation de l’Allemagne nazie avec défilé du président français et de la garde républicaine sur les Champs Élysées, tu vois le style, à la fois sobre, fastueux, hyper digne, solennel. Vu qu’on est passé à ça d’avoir un continent européen avec des spasmes du bras droit et des éructements de gorge en guise de salut citoyen et de folklore collectif, entre autres désagréments. 

Alors bon, je regarde ça distraitement, et tout-à-coup, je me focus sur le plan. Non mais... Sérieux, c’est possible ça… Y’a pas un seul figurant pour faire la foule sur les Champs Élysées, rien, nada, y’a pas de foule du tout, même pas quatre pelés sur un cadrage hyper serré à la Roger Corman pour faire illusion, non, là, y’a vraiment personne. Y’a que Macron avec sa garde qui roule à vide sur des artères parisiennes désertes en saluant un peuple fantôme, avec juste un écran géant, Place de l’Etoile, et la gueule à Macron en gros plan dessus, comme un espèce de gros selfie relou filmé en travelling qu’il s’envoie à lui-même et où il se reluque à la fois. Mais c’est quoi cette production chelou?

La capitulation de l’Allemagne nazie en 45, c’est quand même la fête de l’humanité, c’est de la joie collective, c’est de la liberté retrouvée. Comme par exemple la liberté, quand t’es nazi, d’être autorisé à défiler dans Paris deux jours avant la commémoration de la capitulation nazie. Si c’est pas de l’esprit d’ouverture ça! Si c’est pas de la démocratie inclusive! C’est pas censé être que de la solitude présidentielle française en montée d’ego trip lâchée dans un désert de bitume et de drapeaux tricolores. Ils ont oublié de booker les figurants ou quoi? Ils sont où? Ils sont encore à la caf’ en train de se goinfrer des sandwichs beurre-cornichon aux frais de la prod? Personne leur a dit qu’on allait tourner le plan? Et qui a donné le feu vert pour tourner la scène alors que personne était en place? Retrouvez-moi le réal et le chef-op! je veux un contrat sur leur tête! Vous savez combien ça coûte de gâcher un plan pareil? C’était un One-Shot. En live, bordel, maintenant c’est irrattrapable. On a l’air de quoi! On a mis tout ce pognon dans ce plan, loué des des chevaux, des cavaliers, des limousines, bloqué les Champs-Élysées, et pourquoi? Pour quel résultat? Pour faire un film d’auteur perché qui fâche tout le monde. Il est où le peplum anti-nazi pour commémorer la démocratie, il est où le feel good movie à la french qu’on était censé tourner pour fédérer le pays?

Parce qu’on a quoi là maintenant? Le message qu’on fait passer devant la Nation c’est: le peuple de France il existe pas? Et: le pouvoir tourne à vide? Merci Adolf, le parti unique c’était une sacrée bonne idée? J’essaie de comprendre… Finalement, il y a une explication simple, c’est juste que la fameuse phrase de Brecht, à force d’être tout le temps citée, a fini par passer dans la réalité: «Puisque le peuple vote contre le Gouvernement, il faut dissoudre le peuple.»

Brecht s’en amusait, Macron l’a fait.

---
Emission diffusée sur Radio Vostok en direct du Forum Meyrin, le 12 mai 2023
Publié le 15 mai 2023
Crédits photo: © Anne Bouchard

 

 

 

 

 

 

0:00 / 0:00