C’est quoi ce bazar avec le tatouage? Sérieux, qu’est-ce qu’ils ont tous? Pour vous dire, les zèbres de la génération X, dont je suis, n’avaient jamais connu ça. Du temps de notre folle jeunesse, le tatouage, c’était encore l’apanage du biker, du taulard, du mauvais garçon quoi. Ou à la limite du môme qui mâchait un Malabar et se gravait sur l’épaule, par décalcomanie, le tatouage contenu dans l’emballage du chewing-gum. Et là attention, on n'était pas sur du poignard sanglant ou du symbole de gang, hein, on était sur du Disney, du Mickey, du nounours. En somme le tattoo, c’était bandit ou Bambi. Imagine l’innocence qui était la nôtre et notre degré subséquent d’impréparation…
J'étais pas prêt à l’épidémie de tatouage qui a suivi, dans les années 1990-2000, et qui a semé des symboles tribaux maoris ou des carpes koï sur les hanches de Joséphine de la compta ou les pecs un peu flasques de Gégé, le pote du fitness! En un éclair, l’épiderme de la moitié de l’humanité s’est retrouvé décoré d’enluminures. De quoi cette mode était-elle le nom? Et pourquoi, face à la majorité de ces motifs encrés dans la viande, on peut radicalement déplorer les ravages de l’alcoolisme sur le sens esthétique de nos contemporains?
Alors je ne dis pas que je n'apprécie pas les tattos, au contraire! Certains sont de véritables œuvres d’art, sans débat. Par contre pour ce qui est des symboles tribaux mondialisés, vus et revus, j’émets une ou deux réserves; et, goût personnel, c’est carton rouge pour les kékés qui se tatouent des phrases inspirantes et se transforment ainsi, au choix, soit en une foutue fiche de lecture à ciel ouvert, soit en un profil LinkedIn farci de citations sur l’art de rebondir X fois après un échec ou autres scies de la pensée managériale. Là, c’est non, Punkt Schluss. Et non aussi, faut-il le préciser, non au tattoo «défi post-beuverie»: en général, quand on se réveille le lendemain après-midi, le résultat peut réserver quelques surprises pas toujours bonnes. On le répétera jamais assez: après quelques verres, le sens de l’esthétique… s’assouplit, voilà. S’assoupit aussi. On peut plus vraiment s’y fier. Mais autrement, vive le tatouage! J’y ai d’ailleurs songé moi-même.
Alors après la fiche, voici le conseil de lecture: L’homme illustré de Ray Bradbury. Un recueil de nouvelles de SF paru en 1951, quand le tattoo était encore réservé aux freaks, aux marginaux. Le propos? Le narrateur rencontre un homme recouvert de tatouages dont il essaie en vain de se débarrasser depuis des années. Pourquoi? Parce que ces illustrations prédisent l’avenir et sont particulièrement malaisantes. Au final, chaque tatouage donnera le motif d’une nouvelle où l’on retrouve l’ironie douce-amère de Bradbury. Extrapolons: et si le tattoo était une sorte de prophétie autoréalisatrice? Si le tsunami de tatouages depuis les années 90-2000 était le symptôme d’une société individualiste et déboussolée, où afficher les signes extérieurs de son originalité serait une manière de forcer le destin, de prouver qu’on existe?
En guise de démonstration, j’en reviens pour finir à mon cas personnel, car mes tatouages ont bel et bien prédit l’avenir. J'en ai un pour chaque fesse. Sur la gauche, trois lettres: L, J, S. Pour Libertés et Justice Sociale. Le mouvement d’un certain Pierre sur lequel on s’aventurerait pas à construire une Eglise. Et sur la fesse droite, le circuit où se court le Grand Prix de F1 d'Abu Dhabi, dont le même Pierre est particulièrement friand. Or ces deux tatouages ont été faits avant l’élection au Conseil d’Etat du week-end passé. Ils prédisent donc correctement la résurrection de Pierre Maudet et nous invitent à ne pas le croire sur parole quand il évoque un retour aux affaires sans… affaires, au sens de combinazioni. La démonstration est imparable: deux simples tatouages peuvent remplacer Madame Soleil et les commentaires de n’importe quel politologue. Le seul qui soit irremplaçable, c’est notre ami Pierrot on dirait…
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Emission diffusée sur Radio Vostok en direct du Forum Meyrin, le 5 mai 2023
Publié le 8 mai 2023
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