Midi Bascule

S2E12 Chronique d’Olivier - Noires dystopies

Vit-on réellement en pleine dystopie? Olivier Mottaz a mené une enquête d’une rigueur scientifique.

Moi qui ai un vieux fond anar et qui aime la science-fiction, autant vous dire que le sujet du jour m'insire. Et plutôt cent fois qu’une! D’autant plus que l'hypothèse du jour est super déstabilisante. Ainsi, à entendre mes collègues, on ne serait pas seulement environné de représentations littéraires et cinématographiques dystopiques, mais on vivrait concrètement en pleine dystopie, en plein effondrement. La vache, c’est flippant comme perspective. Mais… est-ce vrai pour autant ?

Pour répondre à cette épineuse question, j’ai mené une enquête d’une rigueur scientifique carrément raoultienne: recours au doigt mouillé, à l’infaillibilité papale et à des intuitions géniales, forcément géniales. Il n’en faut pas plus pour faire un chercheur de classe mondiale.

Pour sauter d’emblée à la conclusion, oui, nous vivons de fait en dystopie. Voilà. Merci de votre attention, à dans deux semaines.

Ah? Vous en voulez encore? Eh bien voici l’histoire de quelques preuves du bien-fondé de ce constat: nous barbotons dans la dystopie. La nôtre, de dystopie réelle, elle a une couleur idéologique assez classique: elle est libérale. Pas au sens philosophique, attention, au sens platement économique. Elle semble animée par un seul mantra: tout doit disparaître. Elle a aussi une couleur tout court. Dois-je rappeler quel jour nous sommes? Mais oui bien sûr le noir, le black, vendredi et pour tous les autres jours de toute notre vie.

Bien. Notre dystopie réelle a également ses totems. Par exemple les caisses à parlotte introduites récemment par une fameuse marque de supermarchés. Oui, des caisses de magasin avec des hôtes et hôtesses de caisse entièrement dévolus au fait de tailler une bavette avec les clients, en plus de scanner leurs articles. Des caissiers-hommes de compagnie, en somme. Alors j’en parlais l’autre jour avec mon boucher-confesseur, cassant au passage les noix des 14 clients dans la file derrière moi. Je lui disais, à mon boucher, c’est quand même symptomatique du désespoir existentiel le plus abyssal que de vouloir aller confesser ses péchés en même temps que tu achètes une entrecôte. Non? C’est pas la preuve d’un manque atroce d’interactions sociales? Mais si, bien sûr que si ! J’ai d’ailleurs compris à quel point on déconnait collectivement quand j’ai demandé à mon psy s’il pouvait pas me dealer un rumsteak. Evidemment, il a tiqué, vu qu’il est pas psy-boucher mais psy-coach en bonheur et qu’il vend des séminaires ou un accompagnement individuel mais pas de la bidoche !

Notre dystopie réelle a aussi ses outils de contrôle et son credo particulier. Le credo il est simple : tous à poil. Oh pas au sens littéral, rêvez pas, moi j’aurais préféré mais bon. En guise d’illustration, songez aux émissions de téléréalité, qui réalisent le rêve carcéral de Bentham, la prison panoptique, la prison parfaite où les détenus ne peuvent pas échapper un seul instant aux regards de leurs geôliers… Tous à poil, tous transparents, grâce aux mailles serrées des filets médiatique et numérique. C’est pas pour dire mais comparé à Google et consorts, qui nous connaissent bientôt mieux que nos parents, Big Brother jouait petits bras !

Quoi d’autre? Eh bien ceci: notre dystopie a également son ou sa novlangue, et elle peut se prévaloir d’un rapport à la vérité qui rappelle la doublepensée décrite par Orwell. Si un énoncé comme «Ma défaite aux élections présidentielles, c’est une victoire en fait» est possible dans notre monde, c’est bien qu’il a des aspects dystopiques, n’est-ce pas Donald?

Rah il est déjà temps de conclure, alors qu’ajouter? Eh bien peut-être ceci: Et le monde du travail, on en parle? En voilà une jolie punition collective qui aurait plus lieu d’être, aujourd’hui. Et la religion d’Etat du New Public Management, on en parle? Et les coachs, les consultants en entreprise, vous avez déjà eu affaire à ce clergé? C’est génial: les mecs y se prennent pour des apôtres et y parlent en langues, enfin par acronymes qui visent surtout à cacher la fosse pélagique de leur inculture et de leur absence d’originalité…

OK, j’vous laisse pour de bon cette fois-ci, et oubliez pas tout doit disparaître… pardon tout va disparaître, mais en attendant y a -50% sur les écrans plats au rayon Miroir, mon beau miroir, donc… profitez !

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Emission diffusée en direct sur Radio Vostok, le 25 novembre 2022
Publié le 28 novembre 2022

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