Midi Bascule

S2E11 Chronique de José - L'époque est-elle compatible avec la danse de couple ?

Notre chroniqueur José Lillo tranche d'entrée la question, c'est un grand NON. Les raisons de cette position intraitable à écouter dans sa chronique.

Alors déjà, bravo ! Bravo Midi Bascule ! Merci aussi, évidemment, aux guests ! Après leurs témoignages, nous voilà rassurés. C’est bien, hein, on nous dit que les gens sont déprimés, que l’effondrement de la biodiversité les affecte à mort et que le soir, après le boulot, ils restent plantés chez eux devant leur écran à streamer du Disney ou des vidéos sournoises d’influenceurs, à péter leur carte de crédit avec des achats en ligne de tout et de n’importe quoi, à moitié comateux, et on apprend qu’en fait il y a un boom des inscriptions aux cours de salsa pour pratiquer la danse de couple. Les inconscients. 

Mais il vous faut quoi pour que vraiment l’effondrement de la biodiversité vous affecte, pour que vous deveniez enfin conséquents? Parce que danser en couple, c’est bien joli, mais on sait comment ça se termine, ça apprend d’abord tout timidement des pas de danse, ça jure qu’on est là par amour de la danse et seulement ça; ça s’essaye peu à peu à guider, à se laisser guider, entre parfaits inconnus - comme par hasard célibataires - et un jour ça finit à l’aube, avec la gueule de bois et un polichinelle dans le tiroir. Y’a un genre de salsa qui en général a pas trop besoin d’instructions et de professeurs pour que ça se passe, si tu vois ce que je veux dire, Marie-Eve : La Salsalace…

La danse de couple, c’est bien, mais le problème avec la danse de couple, c’est qu’il y a le mot couple dedans. Les gens, un peu de sérieux, on vient d’apprendre qu’on est maintenant 8 milliards sur la planète. Alors franchement: Est-ce vraiment raisonnable? En 10 ans, on est passé de 7 à 8 milliards, tu te rends compte, Marie-Eve, ça veut dire 1 milliard de plus tous les 10 ans. C’est pas des chemtrails qu’on a vu dans le ciel, ces dix dernières années, c’est des vols de cigognes supersoniques qui faisaient du lâchage de surpopulation partout sur la planète. Forcément, si les gens, dès qu’ils ont un peu de temps libre, se mettent à aller à des cours de danse de couple. Moi j’dis, y’a corrélation là, y’a évidence, moins de cours de salsa, de danse de couple, tout ça, moins de surpopulation. Laissez les gens déprimer dans leur coin, bon sang, se sentir mal dans leur corps, moches, pas désirable, rouillés des hanches et du cul, pas baisables, laissez l’espèce s’éteindre d’elle-même, quoi… C’est de l’acharnement là, pas besoin d’entretenir un faux suspens, on sait très bien comment tout ça finira. On a lu The Road, de Cormac Mac Carthy, on s’est repassé les Mad Max 1,2,3, 4, tout le monde a intégré que Walking Dead était un documentaire survivaliste et qu’on assisterait à ça de notre vivant. Tiens, voilà une série qui donne pas du tout envie de se mettre à la danse de couple. Mais plutôt au tir à l’arbalète. Dans Walking Dead, tirer un coup, ça reste purement littéral. Et c’est beaucoup mieux comme ça. Marre du second degré toujours. Regardez où ça nous a menés…

Et puis, franchement, l’Autre est quelque chose de beaucoup trop important pour le livrer, à une danse de couple. J’ai trop de respect pour l’Autre pour le réduire à ça. Non, nous les sensibles, on préfère frémir à distance. Languir. L’Autre, c’est l’inaccessible. C’est d’abord une présence que nos sens doivent apprivoiser. Faut que le corps s’entraîne à supporter une émotion si grande.

Alors, le toucher direct, l’Autre. Sans avoir suffisamment langui d’abord. Languir, bon sang, mais c’est la base de l’érotisme. Et là, en danse de couple, lui tenir les épaules, les hanches, au premier contact, genre comme si t’étais déjà un vieux couple à tout palper sans gêne. Se coller contre l’Autre et devoir le guider ! En mode, laisse-toi totalement faire, tu vas tout comprendre. Et il faudrait en plus que l’Autre se laisse guider ! Non, les amis, non, ceci n’est pas exactement ce qu’on appelle des rapports sociaux horizontaux. Ceci n’est pas le monde de l’égalité réalisée. Là, on sait très bien qui, à la fin, s’occupera des marmots et qui le soir sera à l’apéro avec les potes.

Non, en comparaison, un pogo est quelque chose d’infiniment civilisé: T’es seul, tu sais que le monde autour de toi est violence et chaos, tu lui dis fuck et tu lui arraches une danse, tu danses ta violence, ta colère, et tu t’arranges pour blesser personne dans une masse d’individus qui sont dans les mêmes dispositions que toi. Et après avoir été vu danser le pogo, t’es à peu près sûr de finir ta soirée seul. Si ça c’est pas de la danse civilisée, ça. Si c’est pas éco-responsable.

Non, sérieux, de toute façon, on sait très bien que la danse de couples c’est un truc de tertiaires, de gens qui passent 8 heures par jour assis devant leur écran, et qui soudain réalisent : «Hey, il serait temps que je me souvienne que j’ai un corps et qu’il faudrait quand même que j’en fasse quelque chose à part du footing à 6h du mat et la Course de l’Escalade: Pourquoi pas de la salsa? Les latinos c’est cool, ils se sont faits latés par les conquistadors et l’impérialisme étasunien mais ils sont restés cools et joyeux, c’est carrément ce qu’il me faut. Allez, ce soir, salsa !»

Emission diffusée en direct sur Radio Vostok, le 18 novembre 2022
Publié le 21 novembre 2022
Crédits photo: © Anne Bouchard

 

 

 

 

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