Midi Bascule

S2E10 Chronique de José - La chronique sans chronique

Cette semaine José Lillo s'exerce à l'art délicat de ne pas faire une chronique tout en faisant une chronique. Oui, c'est possible, la preuve ici.

Nous sommes à J moins on-ne-sait-pas-exactement-combien de l’effondrement total de la civilisation. Vous êtes sur Midi Bascule, émission consacrée aujourd’hui à l’appropriation culturelle et c’est l’heure de la chronique de José Lillo. Moyennement motivé aujourd’hui, la preuve: il parle à la troisième personne, comme s’il était pas là, parce que la perspective de la fin, surtout de la fin totale, de l’effondrement de tout, ça motive moyen.

Enfin, je sais pas vous, mais moi ça me fout un coup de mou… J’suis pris de spleen. Et c’est pas le spleen automnal. Non, parce que sans automne, vas-y pour te choper un spleen automnal. Avant c’était comme du covid, le spleen automnal, c’était de la pandémie. Tout le monde y passait. Cette année, essaye, tu verras, ça vient pas. Tu l’attraperas pas. Même ça, c’est foutu. Aucun respect pour nos us et coutumes ce réchauffement climatique. Ça vient tout saloper même la mélancolie. Non, moi, le spleen dont je te parle, il est juste glauque. C’est pas du Baudelaire ni du Nerval, c’est du Glokelaire ou du Glokval. Ça a un nom de médicament. C’est de la novlangue, c’est du moche, c’est pas du littéraire.

Non, là, moi, le matin, même après trois café et un jus de gingembre, j’ai juste envie de me refoutre au pieu direct. Sous deux duvets, à poil, primal, roulé, fœtal. Glander, rien foutre, attendre. Attendre que ça pête. Mais ça pête pas. Ça s’effondre pas. Chié. Je déteste attendre.

Alors scroller des heures comme un zombax sur mon fil d’actu, lire des titres d’articles en ligne pour tuer le temps, et tomber sur : Le gaz qu'émet le brocoli pourrait signaler la présence d'une vie extraterrestre. Après les petits hommes verts, le petit légume verts, ouais, ça se tient. C’est dans Slate, ça doit être vrai. Lire l’article parce que quand même, c’est intriguant. L’article lu, je comprends pas bien la corrélation entre le brocoli, les nébuleuses en formation et le télescope spatial James Webb. Sauf que j’ai soudain un flash de la tranche de chorizo d’Etienne Klein. Et là ça craint. Vite, scroller, parce que ça donne faim tout ça.

Scroller.
Scroller.

Ah, tiens, des rastas blancs se sont faits gauler à Berne. Oh les cons ! Les salauds ! Toute la presse en parle. Ah non, attends, ça doit être une vieille actu de l’été. Comme toutes les saisons se ressemblent maintenant on sait plus

Il seraient assez cons pour se faire gauler deux fois? La même année? Pour du reggae blanc? Si vraiment ils peuvent pas s’empêcher de provoquer, ils peuvent pas lancer de la sauce tomate sur les vitres qui protègent les chefs-d’œuvre de la peinture, comme tout le monde? Ou alors se contenter du patrimoine culturel authentiquement blanc et faire de la musique de skinhead, un peu de cohérence, merde. Tant qu’à faire des trucs de facho, autant le faire dans l’uniforme facho et faire la musique qui va avec, sinon on y comprend plus rien, on s’y perd, tout devient confus. Et pis avec le crâne rasé et un bombers, fini les accusations d’appropriation culturelle, tout rentre dans l’ordre, tout le monde est peinard. Comment ça nique la tronche les infos sur les réseaux. 

Scroller encore, mais s’emmerder. Et ça pète toujours pas. 

Tous ces plats de bouffe qui défilent, je saurais même pas dire les noms tellement y’a de couleurs de bouffe dans les assiettes. Y’a que quand c’est la peau que les gens coincent avec la couleur, dans l’assiette c’est LGBTQIA+ tous les jours. 

Toutes ces coupettes de champagne – je dis pas que c’est mal de boire, surtout pas le champagne – mais penser d’abord à faire la photo de la coupette pour la montrer plutôt qu’à la boire, là, y’a un truc qui me dépasse.

S’emmerder mais pas avoir envie de lâcher l’écran. Et de regarder le plafond. Ça fait tellement dix-neuvième regarder le plafond. Alors préférer encore l’écran. Au moins ça distrait. Mais quand est-ce que ça va péter, allez. Avec l’écran, au moins, on peut faire des trucs, avant que tout pète. Perso, là, j’ai limite envie de répondre à Lilly Hill sur Messenger qui arrête pas de me harceler dans le menu nouvelles invitations par message,et qui me propose de : Let’s go for a walk and make love… avec plein d’emoticons coeur fushia. D’autres fois c’est : Sieh dir mein Pussy-Video sofort" an Kontaktiere mich. J’ai toujours été attiré par les femmes qui parlaient plusieurs langues, ça me magnétise. Ou alors c’est lacanien. Mais bon, j’suis pas dupe, je sais bien que c’est du sexe tarifé tout ça. Et puis j’crois moyen à sa photo de profil… Dommage, la météo de novembre se prête à mort pour du sexuel torride en plein air. Quel gâchis. Les gens sur les réseaux sont d’un vénal… Et pis de toutes façons j’ai pas la niaque. J’me sens mou comme un actionnaire de Total devant un rapport du GIEC.

Allez, j’ai une chronique à faire, et vous avez une émission à écouter, on va quand même continuer à faire comme si on allait pas passer Noël en string. À Genève, hein. Aux Bains des Pâks. Comme si tout baignait pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Comme si c’était encore raisonnable, étant donné le contexte général de parler d’autre chose que de survivalisme dans une émission de grande écoute. Bon, comme, de toutes façons, on n’est pas dans une émission de grande écoute ici – que je sache – on s’en fout. Ça n’a aucune importance si on parle pas ici de trucs qui pourraient vraiment sauver des gens comme par exemple le survivalisme, les techniques pour résister à des températures extrêmes par la respiration, devenir yogi, yoga, cada dia yo te quiero mas, yogi yoga, yogi yoga.

Comment j’ai esquivé le sujet touchy de l’appropriation culturelle, vous avez vu ça ? Si c’est pas du survivalisme ça.

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Emission diffusée en direct sur Radio Vostok, le 11 novembre 2022
Publié le 14 novembre 2022
Crédits photo: © Anne Bouchard

 

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