Des chants de chantiers
Les chantiers font partie de notre quotidien. Ils représentent l’étape la plus concrète et la plus visible de la transformation d’une ville. Parce que nos cités évoluent sans cesse et que les machines suscitent autant l’agacement que la fascination, Maxine Reys et Audrey Bersier s’y sont intéressées. Réaliser une oeuvre artistique avec ces monstres de métal, c’est le défi qu’elles ont relevé. Elles ont même réussi à transformer ces bruits que l'on qualifie facilement d’insupportables en doux chants de baleines.
L'art est partout
Les artistes pluridsciplinaires Maxine Reys et Audrey Bersier ont fondé Pintozor Prod. en 2018. Elles explorent artistiquement en explosant les murs : l'angoisse de la salle noire, explique Maxine Reys, qui trouve l'art dehors, dans l'espace public, là où les passants ne le perçoivent pas nécessairement du premier coup d'œil. Pour le trouver, il faut tendre l'oreille! Les deux créatrices participent à l'appel à projets Radio Bascule 2021 et imaginent le podcast Machines. Dans cette création, elles saisissent non seulement le réel, en partant à la rencontre de celles qui conduisent ces engins, mais laissent également voguer leur imaginaire. À l'origine de ce podcast, des messages vocaux WhatsApp: Maxine Reys en envoie à Audrey Bersier, en l'interrogeant sur ce qu'elle entend. Une baleine? Non, une grue, sans ailes, mais elle chante aussi. L'idée leur est alors venue de jouer avec ces sons mécaniques, de les transformer. Parler des machines de chantier les intrigue également pour le milieu socio-culturel dans lequel celles-ci se rencontrent, qui leur est étranger.
Des femmes conductrices de machines
Pour entrer en contact avec les conductrices de machines, de nombreux e-mails sont envoyés aux entreprises de construction de la place. Les employeurs sont fiers de leur parler de leur seule employée, ce qui fait sourire les deux créatrices. Les conductrices sont parfois interloquées, voire méfiantes, car elles ne comprennent pas toutes immédiatement l'intérêt de Maxine Reys et Audrey Bersier pour leur activité. Mais aucune ne refuse de répondre à leurs questions. Les deux artistes comme les auditeurices ressentent vite la tendresse des témoignages, lorsque ces femmes évoquent leurs machines. Quant à Olivier, il célèbre les héroïnes badass du cinéma, de la littérature et d'autres formes d'art, qui manient, elles aussi, de grosses machines.
Expérimenter, documenter et imaginer
Les questions sont les seuls mots scénarisés. Le reste est improvisé, l'expérimentation est le maître-mot des field recordings, les enregistrements du terrain, ainsi que des réactions et dialogues des deux artistes. Les sons des machines sont transformés en chants d'animaux, cigales ou baleines, pour atteindre la poésie de leur fragilité mécanique.
Il y a toujours beaucoup de documentaire dans la fiction et de fiction dans le documentaire.
Maxine Reys et Audrey Bersier s'amusent du format de docufiction que prennent généralement leurs créations et qui leur laisse une grande liberté d'expression, tout en s'ancrant dans une part de réalité. Par moment, leur récit frôle par exemple la science-fiction.
S'immerger dans Machines
Il est recommandé de porter un casque pour découvrir ce podcast. Pas un casque de chantier, mais des écouteurs audios : l’enregistrement a été effectué avec un micro binaural. Cela signifie que chaque oreille entend des bruits différents, avec le bon équipement. Les sons semblent tourbillonner autour de la tête et emportent l'auditeurice. À écouter ou réécouter, en attendant Machines 2, qui est, dans la tête des deux artistes, pour le moment dédié aux femmes maniant de toutes petites machines, tatoueuses, dentistes ou encore étalonneuses.
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Émission diffusée sur Radio Vostok en direct du Service de la culture de Meyrin, le 17 novembre 2023
Publiée le 17 novembre 2023
Crédits photo : Maxine Reys et Audrey Bersier