Midi Bascule

S3E01 Chronique d'Olivier - Le Cynique, parangon des alternos ?

Diogène de Sinope est aussi connu sous le nom de Diogène le Chien ou Diogène le Cynique. Déjà bien punk, le philosophe ! Mais qu'est-ce qui fait de lui une figure alternative ?

Marie-Eve : En voici un dont on ne sait pas trop s’il fait partie du clan des alternatifs, des paléobeatniks, des bourgeois canailles ou des plumitifs faméliques, j’ai nommé Olivier bien sûr. Il te revient l’honneur d’ouvrir le bal des chroniques de cette saison 3 et on espère que tu sauras t’en montrer digne !

Tcheu la pression que tu me mets, je me sens tout liquide d’un seul coup. Heureusement que le premier nom que je vais citer aide beaucoup à ne pas se prendre trop au sérieux.

M.-E. : Oh non, tu vas pas encore nous parler de Pierre Maudet !

Mais pas du tout… Où t’es allée chercher ça ? Note bien que dans le genre rebelle en mousse, petit marquis qui se la joue proche du peuple et cynique aux crocs qui rayent le parquet, il se pose là l’ami Pierrot. Mais non, laissons-le pioncer dans sa crypte. Moi, je voudrais poser la question des modèles de comportement, des sources d’inspiration de l’éthique alternative. Je demande donc : qu’est-ce qui fait le bon jules ou la bonne souris alterno ? Allez, en vrac, quelques pistes : le rejet de ce que Pascal appelait les grandeurs d’établissement (les titres honorifiques, tous ces hochets que les puissants aiment agiter sous le nez des gueux) ; l’insoumission aux autorités politiques ; l’insertion dans des circuits économiques parallèles ; l’irrespect, la provocation, le culot ; la critique du civilisé, qui n’est souvent qu’un barbare en costume Prada. Eh bien vous mettez toutes ces qualités dans une colonne, dans une autre vous collez le nom de Diogène, et bingo ! Vous remarquez que ce diable de philosophe antique les cochait à peu près toutes.

M.-E. : Tu fais référence à Diogène de Sinope, c’est ça ? Le représentant le plus célèbre de l’école cynique ?

Oui da ! Diogène, c’est d’abord un look qui fait penser à un festivalier après cinq jours de Paléo sous la flotte. Un infâme manteau lépreux, une besace, un bâton et une grande jarre où crécher. Point barre, rien de superflu. But du philosophe : atteindre au maximum de la liberté et de l’autosuffisance. Et au passage, se payer la tête de ses contemporains, moquer les intellos et congédier les hommes ivres de leur propre gloire. C’est le genre de gars qui mendie, car pas question de s’aliéner à travailler. Qui se balade en plein jour avec une lanterne allumée en disant aux Athéniens ébahis qu’il cherche un homme (entendez : un sage). Qui ridiculise Platon en inventant le lancer de coq déplumé comme argument rhétorique qui tue. Et qui, anecdote la plus fameuse à son sujet, envoie un jour paître Alexandre le Grand himself. Imaginez : le conquérant s’approche de Diogène qui bulle dans sa jarre et lui demande ce qu’il désire. Réplique du philosophe : ben ôte-toi de mon soleil, grand sac, j’ai déjà tout ce qu’il me faut et tu me fais de l’ombre. (Seul le début est authentique hein, pour la suite j’ai brodé.)

En résumé, il y avait du punk chez cet homme-là, du voyou, de l’alterno pur sucre, on peut dire qu’il avait du chien – ce qui est, comme les choses sont bien faites, justement la racine étymologique du terme cynique. Arrivé à ce stade, j’ai envie d’aboyer par contre.

M.-E. : Mais qu’est-ce qui te met les nerfs en pelote, Olivier ?

Eh bien de voir que dans la grande lessiveuse contemporaine, les codes du cynisme sont désormais recyclés et appliqués par ceux qui devraient en être la cible ! Aujourd’hui, c’est un Nicolas le Petit (l’ex-président là, l’amateur de Rolex et de chanteuses à voix) qui donne du Casse-toi pauv’ con à un citoyen. C’est un Micron Ier qui cajole les premiers de cordée et vilipende ceux qui ne sont rien et n’auraient qu’à traverser la rue pour dégoter un taf de misère. Et même chez nous, les politiques font assaut de cynisme ! Les prix d’à peu près tout explosent ? Mais c’est facile les pauvres, arrêtez de chouiner : suffit de mettre un couvercle sur l’eau des pâtes, suffit de prendre une douche à plusieurs, suffit d’opter pour une franchise plus élevée ou de changer une énième fois de caisse en espérant ne pas, ne jamais tomber malade. Merci Guy, Karin, Viola et les autres. Non mais vous êtes sérieux au Conseil fédéral ? En fait, parmi les sept nains, y'en a un seul qui a les épaules pour faire un vrai bon cynique moderne et pas une espèce de cuistre confit de vulgarité.

M.-E. : Et qui est ce philosophe qui s’ignore ?

Oh il se reconnaîtra. Lui, son job, il s’en cogne, il est déjà parti dans sa tête. Il soigne sa dégaine de bad boy à coups de panama, de havane, de boa fuchsia et de canette de bière, il fait le zazou sur un char à la Street Parade, quand il s’amuse pas à jouer le pirate de l’air en violant l’espace aérien français aux manettes de son coucou. Alain, t’es un vrai modèle pour tous les alternatifs. Par contre sois gentil et décale-toi un chouïa, parce qu’avec ton chapeau, ton avion et tes frasques, tu fais de l’ombre et tu nous empêches de profiter du soleil.

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Émission diffusée sur Radio Vostok en direct du Service de la culture de Meyrin, le 15 septembre 2023
Publiée le 18 septembre 2023

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